Application : le marché du luxe
Le secteur du luxe (mode, maroquinerie, cosmétique, horlogerie, joaillerie) est aujourd’hui en forte croissance en France. Les grands groupes comme LVMH, Kering, Chanel ou Hermès recrutent massivement pour accompagner leur expansion internationale et répondre à la demande croissante sur les marchés asiatiques et américains.
Cependant, le marché du travail dans ce secteur présente :
- une forte segmentation,
- des tensions de recrutement,
- des exigences élevées en termes de qualification et de capital humain.
Vous êtes consultant RH et devez analyser la situation pour proposer des recommandations.
Annexe 1 – Un secteur du luxe en pleine expansion : une demande de travail soutenue
Le secteur du luxe occupe une place stratégique dans l’économie française. Porté par la croissance mondiale, il enregistre chaque année des performances commerciales remarquables. Les grands groupes français – LVMH, Kering, Hermès, Chanel – bénéficient particulièrement de l’essor de la demande internationale, notamment en Asie et aux États-Unis. Cette dynamique se traduit par une hausse continue du niveau de production, ce qui entraîne mécaniquement une augmentation de la demande de travail.
En effet, la France conserve une place centrale dans les activités de création, de fabrication et d’innovation du luxe. Une grande partie des articles de maroquinerie, de haute couture, de joaillerie ou encore d’horlogerie est encore produite dans l’Hexagone. Afin de répondre à la demande croissante, LVMH prévoit ainsi de recruter environ 15 000 personnes en France cette année, tandis qu’Hermès continue d’ouvrir de nouveaux ateliers et crée plus de 4 000 emplois annuels.
Selon l’analyse keynésienne, une augmentation de la demande effective stimule les investissements et l’emploi. C’est exactement ce que montre le secteur du luxe : l’anticipation d’un marché porteur incite les entreprises à accroître leurs capacités de production et donc à embaucher. Ce phénomène explique la dynamique positive de la demande de travail dans ce secteur, qui contraste parfois avec la situation générale de l’économie française.
Annexe 2 – Des tensions persistantes sur le marché du travail : un secteur marqué par les pénuries de compétences
Malgré leur attractivité et leur réputation internationale, les entreprises du luxe font face à des difficultés structurelles de recrutement. Ces tensions concernent principalement deux catégories de métiers : les métiers artisanaux traditionnels et les métiers émergents liés au digital.
Les métiers artisanaux – maroquiniers, selliers, couturiers, plumassiers, horlogers, joailliers – constituent le cœur du savoir-faire français. Or, ces métiers reposent sur des compétences rares, souvent transmises de manière artisanale et nécessitant plusieurs années de formation. Le secteur estime qu’il manque chaque année près de 3 000 artisans formés pour répondre à ses besoins. Cette pénurie s’explique par la durée de formation, mais aussi par une méconnaissance de ces métiers auprès des jeunes et par une concurrence entre maisons de luxe pour attirer les mêmes talents.
En parallèle, la transformation numérique du secteur crée une nouvelle forme de tension. Le développement du e-commerce, l’importance accrue des données clients et la nécessité de promouvoir les marques sur les réseaux sociaux entraînent une forte demande de profils spécialisés en digital : experts CRM, analystes data, spécialistes UX/UI, community managers. Ces métiers sont très recherchés dans d’autres secteurs (finance, technologie), ce qui accentue la concurrence et rend le recrutement difficile.
Ce type de tensions s’explique, selon les théories de l’appariement (matching), par une inadéquation entre les compétences disponibles sur le marché et les besoins des entreprises. Les frictions – temps de formation, manque d’information, faible mobilité – limitent l’ajustement entre offre et demande. Le secteur du luxe illustre ainsi parfaitement un marché du travail caractérisé par des déséquilibres structurels.
Annexe 3 – Les stratégies des entreprises du luxe : une politique de formation et d’attractivité interne
Face à ces difficultés de recrutement, les grandes maisons du luxe ont développé des stratégies ambitieuses pour renforcer l’offre de travail disponible. Elles jouent un rôle comparable à celui des pouvoirs publics en matière de formation, d’insertion et de sécurisation des parcours professionnels.
La première stratégie consiste à créer leurs propres écoles internes. LVMH a fondé l’Institut des Métiers d’Excellence (IME) pour former des artisans en maroquinerie, couture ou joaillerie. Hermès a développé des écoles internes au sein même de ses ateliers. Chanel possède plusieurs institutions dédiées à la transmission de savoir-faire uniques comme la broderie ou la plumasserie. Ces écoles participent à l’accumulation de capital humain au sens de Gary Becker : en investissant dans la formation, les entreprises augmentent la productivité future de leurs salariés et garantissent la transmission de savoir-faire rares.
La deuxième stratégie repose sur un renforcement des partenariats éducatifs. Les groupes collaborent avec des lycées professionnels, des CFA, des écoles d’ingénieurs et des instituts spécialisés afin d’adapter les formations aux besoins du secteur. Cette coopération permet de réduire les frictions du marché du travail en améliorant la qualité de l’appariement entre offre et demande.
Enfin, les entreprises du luxe améliorent leur attractivité grâce à des conditions d’emploi avantageuses. Les salaires d’entrée sont généralement supérieurs de 15 à 20 % à la moyenne de l’industrie, les perspectives de carrière sont solides et les conditions de travail sont particulièrement soignées. Ces efforts visent à fidéliser les talents, conformément à la théorie des insiders-outsiders : une entreprise investissant fortement dans un salarié cherche à le conserver durablement pour ne pas perdre son investissement initial.
L’ensemble de ces mesures s’inscrit également dans une logique de croissance endogène. En développant leurs propres compétences internes, les entreprises augmentent leur productivité, renforcent leur compétitivité et contribuent à la croissance économique de long terme.
Questions :
1. Analyse du marché du travail dans le secteur du luxe
a) Identifiez les déterminants de l’offre de travail dans ce secteur d’activité.
b) Identifiez les déterminants de la demande de travail des entreprises du luxe.
c) Montrez que ce marché du travail est segmenté.
2. Les déséquilibres sur le marché du travail
a) Justifiez l’existence de tensions de recrutement à partir des documents.
b) Expliquez ce phénomène à l’aide des théories économiques vues en cours
(ex. : capital humain, appariement, insiders/outsiders).
3. L’intervention des entreprises et de l’État
a) Identifiez et classez (actives/passives) les mesures mises en place par les entreprises pour résoudre ces tensions.
b) Proposez deux mesures publiques (État, régions) permettant d’améliorer l’employabilité dans ces métiers.
c) En quoi l’investissement dans la formation s’inscrit-il dans la logique de la croissance endogène ?
Eléments de réponse conforme à la méthodologie en CEJM :
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Définition / auteur de référence
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Lien avec le cas du luxe
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Conclusion synthétique
1. Analyse du marché du travail dans le secteur du luxe
a) Déterminants de l’offre de travail
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Définition / auteur : L’offre de travail correspond à la quantité de travail que les individus sont prêts à fournir selon le salaire et les conditions de travail (Samuelson, 2010). Elle dépend aussi du capital humain (Becker, 1964).
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Lien avec le cas : Dans le luxe, l’offre de travail est conditionnée par les compétences rares des artisans (maroquiniers, horlogers) et des profils digitaux. L’existence d’écoles internes et la qualité des conditions de travail (salaires supérieurs, perspectives de carrière) augmentent l’attractivité du secteur (Annexe 2 et 3).
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Conclusion : L’offre de travail dans le luxe est limitée par la rareté des compétences et stimulée par la formation et les incitations attractives.
b) Déterminants de la demande de travail
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Définition / auteur : La demande de travail correspond à la quantité de travail que les entreprises souhaitent embaucher selon le salaire et la productivité marginale du travail (Marshall, 1890). Elle est influencée par la demande effective (Keynes, 1936).
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Lien avec le cas : La demande de travail dans le luxe augmente avec la croissance mondiale et la hausse des ventes, notamment en Asie et aux États-Unis. L’anticipation d’un marché porteur pousse LVMH et Hermès à recruter massivement (Annexe 1).
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Conclusion : La demande de travail est directement liée à la performance économique et à la croissance attendue du secteur.
c) Segmentation du marché du travail
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Définition / auteur : La segmentation du marché du travail désigne la division du marché en sous-marchés avec des conditions d’emploi et des qualifications différentes (Doeringer & Piore, 1971).
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Lien avec le cas : Le marché du luxe se divise en métiers artisanaux, métiers digitaux, salariés internes (formés par les écoles de l’entreprise) et travailleurs externes. Chaque segment a ses propres exigences et tensions (Annexe 2 et 3).
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Conclusion : Le marché du travail du luxe est clairement segmenté, ce qui explique certaines tensions et différences de conditions d’emploi.
2. Les déséquilibres sur le marché du travail
a) Tensions de recrutement
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Définition / auteur : Une tension sur le marché du travail se produit lorsque l’offre et la demande de travail ne sont pas équilibrées, entraînant des difficultés de recrutement (Phelps, 1970).
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Lien avec le cas : Chaque année, le secteur du luxe manque de 3 000 artisans formés et peine à recruter des profils digitaux face à la concurrence d’autres secteurs (Annexe 2).
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Conclusion : Le marché du travail du luxe connaît des tensions structurelles, malgré l’attractivité du secteur.
b) Explication économique
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Définition / auteur :
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Capital humain : investissement dans les compétences des salariés pour accroître leur productivité (Becker, 1964).
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Théorie de l’appariement (matching) : inadéquation entre l’offre et la demande due à des frictions (Mortensen & Pissarides, 1994).
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Insiders/outsiders : les insiders (salariés stables) sont protégés, rendant le marché rigide pour les outsiders (Lindbeck & Snower, 1988).
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Lien avec le cas :
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Les entreprises du luxe créent des écoles internes pour réduire les frictions et augmenter le capital humain (Annexe 3).
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La concurrence entre maisons pour les mêmes talents illustre les limites du marché (frictions).
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La fidélisation des salariés formés correspond à la logique insiders/outsiders.
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Conclusion : Les tensions sont structurelles et expliquées par le manque de compétences disponibles, la durée de formation et les rigidités du marché.
3. Intervention des entreprises et de l’État
a) Mesures des entreprises
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Définition / auteur : Les politiques actives du marché du travail visent à améliorer l’employabilité (formation, insertion) ; les politiques passives concernent la protection et l’incitation (salaires, avantages) (OECD, 2019).
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Lien avec le cas :
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Actives : écoles internes, partenariats éducatifs, formation continue (Annexe 3).
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Passives : salaires élevés, conditions de travail attractives, perspectives de carrière.
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Conclusion : Les entreprises combinent mesures actives et passives pour résoudre les tensions et sécuriser leurs talents.
b) Mesures publiques possibles
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Définition / auteur : L’État peut agir pour améliorer l’offre de travail via la formation, l’orientation et les subventions (OCDE, 2019).
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Propositions :
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Subventionner les formations spécialisées dans les métiers artisanaux et digitaux.
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Campagnes d’orientation et valorisation des métiers du luxe auprès des jeunes et demandeurs d’emploi.
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Conclusion : Les interventions publiques compléteraient les efforts des entreprises pour réduire les frictions du marché du travail.
c) Formation et croissance endogène
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Définition / auteur : La croissance endogène montre que l’investissement dans le capital humain, la recherche et l’innovation stimule la croissance économique à long terme (Romer, 1990).
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Lien avec le cas : Les écoles internes et la formation continue augmentent la productivité et l’innovation, renforçant la compétitivité des entreprises du luxe (Annexe 3).
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Conclusion : La formation constitue un moteur de croissance endogène en accumulant des compétences et en renforçant l’économie à long terme.