Comment le droit prend-il en considération les besoins
des entreprises et des salariés ?
1. Quel régime juridique pour les travailleurs indépendants ?
A. La relation de travail
Le travailleur indépendant (ou non-salarié) est une personne qui :
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exerce une activité économique en son nom,
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pour son propre compte,
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et sans lien de subordination envers un donneur d’ordre.
Il détermine librement :
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son organisation du travail,
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ses horaires,
-
ses tarifs,
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ses méthodes de travail.
➤ Attention : la frontière salarié / indépendant est parfois floue
Avec le développement des plateformes numériques (Uber, Deliveroo…) ou des freelances, certaines situations ressemblent fortement à du salariat.
La jurisprudence rappelle donc que la vraie différence repose sur le lien de subordination, défini comme :
« l'exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements ».
Dès que ces éléments sont réunis, les juges peuvent requalifier un contrat commercial en contrat de travail, même si les parties avaient prévu le contraire.
B. Le régime social
Le travailleur indépendant est affilié au régime de Sécurité sociale des indépendants (SSI) — ex-RSI.
Ce régime couvre :
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la maladie et la maternité,
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l’invalidité-décès,
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la retraite,
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certaines contributions pour la formation professionnelle.
➤ Les dirigeants « assimilés-salariés »
Certains dirigeants relèvent du régime général sans être salariés :
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président de SAS ou SASU,
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gérant minoritaire de SARL.
Ils bénéficient d’une couverture sociale proche de celle des salariés, sauf pour l’assurance chômage, car ils ne sont pas subordonnés.
➤ Particularité des cotisations
Les indépendants paient l’intégralité de leurs cotisations sociales (pas d’employeur pour en payer une partie).
Les micro-entrepreneurs, par exemple, cotisent en pourcentage de leur chiffre d’affaires.
2. Quel régime juridique pour le contrat de travail ?
Avant d’appliquer les règles du droit du travail, encore faut-il démontrer… qu’il y a un contrat de travail !
A. Le contrat de travail
➤ Les trois éléments indispensables (jurisprudence)
Pour qu’un contrat soit qualifié de contrat de travail, trois critères doivent être réunis :
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Une prestation de travail (réelle et licite).
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Une rémunération, sous n’importe quelle forme.
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Un lien de subordination juridique (élément déterminant).
Même si les parties ont signé un « contrat de prestation » ou une « facture », ces documents ne s’imposent pas au juge.
C’est la réalité des faits qui prime.
➤ Les clauses particulières du contrat
Pour adapter le contrat aux besoins de l’entreprise, certaines clauses peuvent être insérées.
1. La clause de mobilité
Elle prévoit que le salarié pourra être affecté à un autre lieu de travail.
Conditions de validité :
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périmètre géographique précis,
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justification par l’intérêt légitime de l’entreprise,
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proportionnalité,
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délai de prévenance raisonnable.
2. La clause de non-concurrence
Elle empêche le salarié de travailler pour un concurrent après son départ.
Conditions strictes :
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rédaction écrite,
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justification par les intérêts légitimes de l’entreprise,
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limites dans le temps et dans l’espace,
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contrepartie financière obligatoire,
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ne pas empêcher le salarié de retrouver un emploi.
B. Le pouvoir de direction et l’obligation de protection
Le lien de subordination confère à l’employeur un pouvoir de direction, comprenant :
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le pouvoir de donner des ordres,
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d'organiser le travail,
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de contrôler,
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et même de sanctionner (pouvoir disciplinaire).
Cependant, ce pouvoir est contrebalancé par l’obligation de sécurité, qui impose à l’employeur de :
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protéger la santé physique et mentale des salariés ;
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prévenir les risques ;
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organiser des formations ;
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adapter les postes de travail.
➤ Les 9 principes généraux de prévention (Code du travail)
L’employeur doit notamment :
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éviter les risques,
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évaluer les risques,
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combattre les risques à la source,
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adapter le travail à l’homme,
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tenir compte de l’évolution technique,
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remplacer le dangereux par le moins dangereux,
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planifier la prévention,
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privilégier la protection collective,
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donner des instructions appropriées.
➤ Le document unique d’évaluation des risques (DUERP)
Obligatoire dans toute entreprise → mise à jour au moins une fois par an.
C. La formation professionnelle
La formation professionnelle permet d’adapter les compétences des salariés aux évolutions des métiers et des technologies.
Les acteurs depuis les réformes récentes :
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URSSAF : collecte des contributions formation.
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France Compétences : supervise le système et redistribue les financements.
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OPCO (Opérateurs de compétences) : accompagnement des entreprises, création de certifications, financement de l’alternance.
Le financement :
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cotisation formation =
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0,55 % de la masse salariale (entreprises < 11 salariés),
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1 % (entreprises ≥ 11 salariés).
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Le CPF (Compte personnel de formation)
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500 €/an → plafond 5 000 €.
-
Utilisable pour :
-
certifications, titres professionnels,
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VAE,
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permis de conduire,
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bilans de compétences,
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formations pour créateurs/repreneurs d’entreprise.
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→ utilisation uniquement avec l’accord du salarié.
La VAE (Validation des acquis de l’expérience)
Permet d’obtenir un diplôme sur la base de l’expérience professionnelle, associative ou bénévole.
Points importants :
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pas de durée minimale d’expérience ;
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possibilité de valider seulement certains blocs de compétences ;
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congé spécial de 48 h possible.
D. La négociation collective
La négociation entre employeurs et salariés permet d’adapter les règles du Code du travail aux réalités du terrain.
1. Types de textes :
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Conventions collectives : traitent de l’ensemble des conditions de travail.
-
Accords collectifs : ne visent que certains aspects.
2. Le rôle majeur de l’accord d’entreprise (loi Travail 2016)
Le principe de faveur est remis en cause :
→ l’accord d’entreprise peut primer sur l’accord de branche, sauf exceptions (salaires minima, égalité hommes/femmes…).
3. L’accord de performance collective (APC)
Objectif : adapter l’entreprise (compétitivité, emploi…).
Peut modifier : temps de travail, rémunération, organisation…
Le salarié peut refuser → licenciement spécifique.
E. L’exécution et la rupture du contrat de travail
1. Modification du contrat ou simple changement des conditions de travail ?
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Modification du contrat (éléments essentiels) : nécessite l’accord du salarié.
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Modification des conditions de travail : relève du pouvoir de direction → refus = faute grave.
2. Les modes de rupture du CDI
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Démission (initiative du salarié + respect du préavis).
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Nouvelle règle 2022 : présomption de démission en cas d’abandon de poste.
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Rupture conventionnelle (accord des deux parties, homologation par l'administration).
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Licenciement (initiative de l’employeur).
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Motif personnel (faute ou non).
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Motif économique (suppression d’emploi, difficultés économiques…).
→ possible seulement après efforts d’adaptation et recherche de reclassement.
→ plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) si ≥ 10 salariés licenciés dans entreprises de +50 salariés.
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Licenciement suite à refus d’un APC.
Conclusion générale
Le droit du travail cherche un équilibre entre :
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la protection du salarié (subordination, dépendance économique),
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et la flexibilité pour l’entreprise (adaptation au marché, compétence, performance).
L’enjeu pour est de comprendre :
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comment qualifier une relation de travail ;
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quel régime social et juridique s’applique ;
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comment se crée, s’exécute et se termine un contrat de travail ;
-
quels sont les rôles des différents acteurs (URSSAF, OPCO, France Compétences…) ;
-
et comment la négociation collective transforme le droit du travail au quotidien.