Comment le diagnostic éclaire-t-il les choix stratégiques de l’entreprise ?
1. Les étapes de la démarche stratégique
A. La prise de décision stratégique : la rationalité limitée
L’économiste et sociologue Herbert Simon propose le modèle IMC (Intelligence – Modélisation – Choix) pour décrire le processus décisionnel :
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Intelligence : collecte et analyse d’informations pour détecter les problèmes ou opportunités de l’environnement.
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Modélisation : élaboration de scénarios, identification des solutions envisageables.
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Choix : sélection de la solution la plus satisfaisante, non pas optimale, en raison des limites cognitives du décideur.
Simon introduit ainsi le concept de rationalité limitée :
Les décideurs ne disposent jamais de toutes les informations exactes, et leur jugement est biaisé par leurs perceptions, leur expérience ou leur culture. Ils cherchent donc une solution « assez bonne » plutôt qu’une solution parfaite.
B. La démarche stratégique classique : une approche séquentielle
1. Fixation des buts et des objectifs stratégiques
Les buts expriment les finalités générales : devenir leader, renforcer l’image de marque, améliorer la rentabilité, accroître l’indépendance, etc.
Ces buts se traduisent ensuite en objectifs stratégiques mesurables et cohérents.
2. Le modèle LCAG et la matrice SWOT
Le modèle LCAG, élaboré par Learned, Christensen, Andrews et Guth (Harvard Business School), structure la démarche stratégique. Il est à l’origine de la célèbre matrice SWOT, qui distingue :
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Forces et Faiblesses : éléments internes à l’entreprise,
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Opportunités et Menaces : éléments externes.
Cette matrice met en évidence les facteurs internes et externes ayant un impact sur la performance.
3. Le diagnostic interne et externe
Le diagnostic comprend deux volets complémentaires :
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Diagnostic externe : analyse des opportunités et menaces de l’environnement.
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Diagnostic interne : analyse des forces et faiblesses des ressources et compétences.
4. Le choix stratégique
Il s’agit de sélectionner les orientations (diversification, spécialisation, innovation, internationalisation…) en tenant compte des analyses préalables.
5. La mise en œuvre et le contrôle
Les décisions doivent être déclinées en actions concrètes.
Le contrôle repose sur des tableaux de bord stratégiques permettant d’effectuer les ajustements nécessaires selon les évolutions de l’environnement.
C. Le rôle des parties prenantes internes : une vision politique de l’entreprise
Les théoriciens Cyert et March présentent l’entreprise comme une coalition de groupes d’intérêts (dirigeants, ingénieurs, commerciaux, financiers…).
Chaque groupe a ses propres objectifs, ce qui conduit à des négociations permanentes.
Le rôle des “zones d’incertitude” (Crozier & Friedberg)
Ces auteurs montrent que le pouvoir d’un acteur dans l’organisation dépend de sa capacité à contrôler l’incertitude. Quatre grandes sources de pouvoir existent :
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Compétences rares ou techniques (ex. : ingénieurs spécialisés),
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Relations avec l’extérieur (ex. : commerciaux proches des clients),
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Contrôle de l’information (ex. : personnel administratif),
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Maîtrise des règles organisationnelles (ex. : managers intermédiaires).
L’entreprise apparaît ainsi comme un système complexe où se déroulent des jeux de pouvoir et d’influence, impactant les décisions stratégiques.
2. Les éléments du diagnostic stratégique
A. Le diagnostic externe
1. Le macro-environnement : l’analyse PESTEL
Le modèle PESTEL permet d’identifier les grandes tendances externes influençant l’entreprise :
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Politique,
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Économique,
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Socioculturel,
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Technologique,
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Écologique/environnemental,
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Légal.
Ces facteurs sont subis par l’entreprise, elle ne peut les contrôler.
2. Le micro-environnement : le modèle des 5 + 1 forces de Porter
Porter propose d’analyser l’intensité concurrentielle autour d’un Domaine d’Activité Stratégique (DAS) :
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Intensité de la concurrence,
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Menace des nouveaux entrants,
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Produits de substitution,
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Pouvoir des clients,
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Pouvoir des fournisseurs,
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Rôle de l’État (sixième force parfois ajoutée).
Cette analyse met en évidence les Facteurs Clés de Succès (FCS), indispensables pour réussir dans un secteur donné.
B. Le diagnostic interne
1. Les ressources de l’entreprise : approche de Penrose
Penrose distingue :
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Ressources tangibles : équipements, locaux, finances, effectifs…
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Ressources intangibles : image de marque, savoir-faire, culture, brevets, compétences…
Les ressources intangibles sont souvent les plus stratégiques, car plus rares et difficiles à imiter.
2. Les compétences distinctives (Hamel & Prahalad)
Une compétence distinctive doit être :
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Rare,
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Difficile à imiter,
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Pertinente,
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Sans substitut,
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Transférable à plusieurs activités,
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Source de valeur pour le client.
3. L’avantage concurrentiel et la chaîne de valeur (Porter)
La chaîne de valeur décompose les activités de l’entreprise en :
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Activités principales (logistique, production, vente, service),
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Activités de soutien (RH, R&D, infrastructure…).
Elle permet d’identifier où se créent les avantages en termes de coûts ou de différenciation.
3. La contingence et les limites de la planification stratégique
Selon Henry Mintzberg, la stratégie n’est pas toujours le fruit d’un plan parfaitement anticipé :
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Stratégie délibérée : résultant d’un processus planifié et voulu,
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Stratégie émergente : résultant d’initiatives imprévues, de réactions à l’environnement, ou d’actions non prévues mais efficaces.
La stratégie réalisée est donc souvent un mélange des deux :
→ une direction voulue au départ, ajustée en permanence sous l’effet des opportunités, contraintes et jeux d’acteurs internes.
Synthèse
La démarche stratégique ne se réduit pas à une simple suite d’étapes.
Elle résulte d’un équilibre complexe entre :
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une analyse rationnelle (diagnostic interne/externe),
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des dynamiques humaines (coalitions, zones d’incertitude),
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et des évolutions imprévisibles de l’environnement (stratégies émergentes).
Ainsi, la stratégie apparaît comme un processus vivant, évolutif et ancré dans la réalité organisationnelle.